Échange autour de l'Arbre à Barbe - http://glg-ergoblog.blogspot.fr
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Pourquoi utiliser le végétal, quelle raison avez-vous de le mettre en avant ?
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Ce sont deux questions différentes : c'est le menuisier qui a d'abord séparé les images des murs, le bois n'a dans les conditions du tableau qu'un statut de moyen, il est utilisé comme on l'utilise encore abondamment par le papier. Mettre en scène le végétal, ça commence avec l'art des jardins, les topiaires et les pots de fleurs. C'est donc un art populaire qui est à considérer.
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Vous intervenez dans cette tradition ?
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Pas uniquement : en art contemporain, on connaît de Jean-Pierre Raynaud les mille pots bétonnés peints pour une serre ancienne, le chemin de Nils Udo, je cite ces deux exemples parce qu'ils ne font pas directement valoir le végétal : c'est l'absence de fleur qui prévaut chez Renaud et la rampe de troncs d'épicéa qui supporte de la pelouse est cachée. Mais justement ils intriguent plus qu'ils n'extasient.
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Donc vous voulez intriguer...
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Oui, c'est ça, faire réfléchir à notre existence environnementale car on pense que l'homme et l'animal ont une autonomie de vie du fait qu'ils sont automobiles. Et ils seraient pour cette raison détachables de leur environnement.
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Vous avez détaché l'arbre assez brutalement puisque vous l'avez coupé...
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J'ai récupéré ce stipe de palmier-chanvre par une entreprise de jardinage, pour être exact. Mais vous remarquerez qu'il est ré-attaché de toute part.
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Pourquoi ?
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Les six câbles sont destinés à la suspension de séries ou de suites de bibelots à produire comme des analyses techniques.
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Je vois... comme ici une série de tubes divers qui justifieraient qu'on les aligne, c'est ça ?
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Oui et non : oui, car l'identité rapproche un certain nombre d'objets usuels de secteurs industriels très éloignés ; par conséquent on prend ainsi ses distances par rapport aux services rendus et on se rend compte que la question à quoi ça sert n'explique pas ce qu'on a dans la main, mais le fait oublier en tant que moyen. Non, parce qu'il faut éviter la banalisation du fait technique : le tube est un principe, comme la roue, le levier, etc. on aurait vite fait d'en faire, avec l'eau, l'axe et l'appui, une machine et de s'arrêter à la mise en avant d'un pouvoir faire augmenté lié à un ensemble d'éléments matériellement reliées.
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ça me paraît déjà intéressant d'entrer dans la physique de la technique !
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Bon, je ne dis pas que la technologie destinée à dévoiler et mettre en oeuvre les « rouages » du matériel qu'on possède ou qu'on pourrait produire est sans grand intérêt. Il ne s'agit pas ici d'entrer dans un plaidoyer pour ou contre le progrès technique.
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Au moins, savoir comment ça marche, non ?
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Justement, la plupart du temps on gomme la question « comment ça ne marche pas ».
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Est-ce que ce n'est pas un peu tiré par les poils de l'arbre à barbe que d'aller dans ce sens ?
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Revenons à nos babioles et vous allez comprendre que non : leur manipulation montre qu'ils ne sont pas réductibles à la simplicité de tubes, en l'occurrence. La réalité de la prise en main fait l'analyse : je peux le prendre comme un manche, ce tube et à pleine main alors, ou je le saisi entre le pouce et l'index en le plaçant devant mon œil, vers la lumière et il devient une lunette, je le rempli de sable et il devient un récipient, etc. Autrement, dit la technique est continuellement réaménagée par l'action.
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On connait l'art des détournements, Picasso et sa tête de taureau-selle et guidon de vélo, après Arcimboldo qui portraitise avec des fleurs, fruits ou légumes...
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Je préfère Marcel Duchamp et sa fontaine-urinoir qui ne se situe plus dans le rapport à la représentation visuelle et mimétique mais dans le rapport à une utilisation. Mais de toute façon, il ne s'agit pas de se livrer à une pratique du détournement par les gestes. Il s'agit d'appréhender ces babioles dans la complexité de l'action technique. Car il y a des limites au détournement d'utilisation : les choses ouvragées nous font faire et avec elles nous ne pouvons pas faire n'importe quoi. Nous pouvons recharger nos portables avec un vélo en utilisant le pédalage, non plus pour avancer mais pour faire tourner la dynamo. Certes, mais par la roue et le levier, je ne saute pas même si le half-pipe montre des envolées acrobatiques : il faut un détendeur comme un ressort et une articulation pour projeter en l'air...ou une rampe de lancement comme le half-pipe.
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Il y a saut et saut pour vous...
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Oui, c'est ça : nos actions sont outillées. Et il faut considérer le fait technique en lui-même et pas seulement le service rendu. Si je prends ce tube, je le reconnais en tant qu'étui pour brosse à dent : c'est alors la protection qui est considérée, en même temps que la facilité de rangement. Mais je peux aussi passer dans le même temps à côté de l'occultation que réalise aussi le tube-étui : c'est ce qui a lieu si je ne reconnais pas l'étui à brosse à dent. Je peux aussi ne pas voir que le fond de l 'étui est percé, ce qui assure le séchage par aération de la brosse. Donc le nécessaire à l'hygiène des dents comporte une diversité et une multitude de dispositifs que j'active ou non, mais qui ne manquent pas d'opérer avec moi ou contre moi.
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Contre vous ?
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C'est net avec la cartouche : ça peut exploser n'importe comment et faire des dégâts jusqu'à la catastrophe, nous le savons tous ! La technique est indifférente aux utilisations qui en sont faite. Mais il y a à montrer qu'elle apporte aussi des solutions inattendues et pas seulement de nouveaux problèmes.