Matériel (dans la salle polyvalente du Foyer de vie de Bazouges)
Un chariot rempli de planches de peuplier est mis à disposition près de la porte. Chacune est aisément transportable par le spectateur lamda, même enfant. Une cible est placée dans le fond de la salle, « dame blanche » qui porte quatre yeux, ceux du modèle de Jean Gagnepain. Entre elle et le chariot, un espace jonché de choses et d'autres, autant d'obstacles qui entravent la marche.
La pianiste Karen Lorget improvise un rythme qui voudrait rejoindre le parcours de chacun ; elle développe à sa façon une sorte de chemin en contrepoint...qui n'est pas sans influencer la conduite des marcheurs.
La consigne
Se munir de planches pour effectuer un chemin de planches qui neutralise les obstacles et cheminer sur celui-ci.
Deux types de conduite
Il est probable que deux types de conduite apparaissent: par la négligence technique et par l’attention instrumentale.
Le constructeur dispose devant lui une planche au sol: il le fait machinalement ou avec grande attention, notamment pour ce qui concerne l’orientation de la planche, son placement а un endroit tel que la planche qu’il a choisie, vrillée, ne bouge plus.
On avance sur un chemin techniquement fragmenté: les planches voudraient le signaler. Cette fragmentation est deux fois double: identitairement et unitairement. La conjonction du pas et de la planche voudrait montrer que les gestes sont induits par un environnement toujours un tant soit peu technique: on ne marche pas naturellement; nos enjambées sont fonction de l’élaboration du sol: planifié, il est apte à la danse classique, bosselé, il introduit d’autres types de mouvements. On ne marche pas sur la terre comme sur du bois. Pour autant, la terre n’est pas plus naturelle. Généralement, nous marchons pieds nus ou chaussés: les pieds nus correspondent à la technique de marche du danseur. Ordinairement la marche est forte de l’assurance de ne pas glisser que lui procure une semelle ou un sol antidérapant. Il lui arrive parfois d'être prudente en raison d’un plancher glissant. Toujours, le pied s’y fait, les choses le font.
Prendre :
La prise est en elle-même une analyse, sans qu’il y ait besoin de la commenter par une autre de l’ordre du langage. La manipulation ainsi à l’œuvre ne fait pas valoir la main particulièrement, elle peut mobiliser tous les organes corporels et aussi des corps extérieurs pour les exploiter dans leur inertie ou leur énergie. Mais fort de sa technique, le constructeur prend ses distances par rapport aux lieux qui révèlent des pouvoirs faire.
L'affaire
Pour aller jusqu’au portant aux quatre yeux sans se « mouiller » les pieds, sans enjamber dangereusement les obstacles, le constructeur se lance dans la construction d’un chemin.
De quel chemin s’agira-t-il ? À chaque constructeur son chemin. D’action en action, l’affaire pourrait verser dans des comparaisons. Des pauses donnent du temps pour dire ce qui s'est fait.
Instrumenter contre la technique
Le nombre planches permettra-t-il de couvrir toute la longueur ? Ou bien deux planches suffisent-elles ? Ainsi, le marcheur place une première planche devant lui, s’y installe et met devant lui la seconde planche qu’il a sous le bras, fait un saut vers cette seconde planche, récupère la première qu'il place devant lui et ainsi de suite jusqu’à la cible.
Mais le parcours est semé d’embûches : justement, des bûches font obstacle à cette façon d’avancer : certaines sont même des troncs d’arbre de palmier chanvre, « arbres à barbe » impossibles à écarter de la main.
Qu’à cela ne tienne, on pourra disposer deux planches en forme de rampe sur le tronc. Ou bien, empiler les planches jusqu'à surmonter l'obstacle.
Il faudra aussi affronter les ronciers ; certes, on pourra aplatir la broussaille, mais pour ce faire, il faut disposer de planches de grande largeur pour éviter que les épines retombantes ne viennent accrocher le vêtement du bonhomme, puisque les tiges, flexibles, peuvent se rabattre du côté de la planche.
Joker : « quelqu'un a-t-il un sécateur en poche ? »...
Bien, voyons maintenant le sol : il est cabossé et par endroit et de gros trous font problème. La solution est d’allonger les deux planches pour neutraliser les creux et les reliefs. L'installateur de service dispose d’un véhicule de transport qui n’est pas suffisamment long mais il attachera les deux planches sur la galerie.
Maintenant, essayons : la longueur de l’itinéraire est-il divisible par la longueur de l’unité « planche » choisie , soit 1 m ?
Non, si bien que le parcours fera un crochet ou bien...
Au total, l’expérience montre une complexité à rebondissements successifs et ce qui se fait n’est pas réductible à ce que le constructeur a à faire : chemin faisant, il découvre des possibilités nouvelles et des obstacles nouveaux. De réaménagements en réaménagements, le projet de trajet n’est plus le même. Le recours à la technique tend au rabattement de la fin visée vers la fin que porte le matériel utilisé.